Intervention de Noël Mamère contre la prolongtion de l’Etat d’urgence le 16/02/2016
Motion de rejet du 16 02 2016
Intervention de Noël Mamere sur le Projet de loi « prolongation de l’ état d’urgence
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Monsieur le Président de la commission des lois, Monsieur le rapporteur, Mes Chères collègues,
La semaine dernière, nous débattions et votions sur la Constitutionnalisation de l’état d’urgence. Début mars, nous serons appelés à nous prononcer sur une nouvelle loi antiterroriste…Semaine après semaine, le populisme pénal prospère !
Nous sommes donc réunis, aujourd’hui, pour décider ou non de la prorogation de l’état d’urgence jusqu’au 26 mai prochain. Encore trois mois de régime d’exception, au nom de la lutte contre le terrorisme. Le 19 novembre dernier, avec cinq autres de mes collègues, j’avais refusé la première prolongation de l’Etat d’urgence estimant, entre autres, qu’au-delà de 12 jours, il devenait inefficace, inutile et dangereux. Trois mois après, je dois avouer que les faits ont confirmé cette analyse ! L’Etat d’exception, que nous appellerons « Etat de sécurité », est devenu la règle de la République ; une révolution sécuritaire est à l’œuvre, qui transforme subrepticement notre société de liberté en société de surveillance et de soupçon. C’est pourquoi le débat que nous avons aujourd’hui n’a rien d’anodin. Parce qu’il concerne tous les citoyens et pas seulement les personnes dites « ciblées ». Quand l’état d’exception sera devenu état permanent, après la honteuse réforme des codes pénal et de procédure pénale que vous préparez, les Français prendront la mesure des dégâts et se rendront compte que ça n’arrive pas qu’aux autres.
La motion de rejet que je présente va donc s’efforcer de répondre à ces cinq questions :
1/ Ces mesures sont-elles réellement nécessaires et proportionnelles pour prévenir de «futurs attentats terroristes », objectif proclamé par François Hollande dès le 13 novembre et motif invoqué pour les proroger.
2/ Ces mesures ont-elles été efficaces et quelle évaluation peut-on en faire ?
3) La prorogation de l’Etat d’urgence est-elle justifiée et les mesures contenues dans la loi sont-elles suffisantes pour lutter contre les fascistes religieux ?
4/ Quelles catégories de la population sont visées par l’état d’urgence ? N’est-on pas en train de construire délibérément un « ennemi intérieur » ?
5/ L’état d’urgence permanent ne débouche-t-il pas sur un Etat d’exception qui modifie les règles de droit et provoque une transformation radicale de notre société sous couvert de guerre contre le terrorisme ?
Pour nous convaincre de la nécessité de cette nouvelle prolongation, le gouvernement, dans son exposé des motifs, aligne pêle-mêle les actes terroristes déjoués en France et ceux aboutis à l’étranger. Il évoque également « un bilan opérationnel conséquent au-delà des seuls constats chiffrés ». Or, si l’on s’en tient au strict domaine de la lutte contre le terrorisme, ce fameux bilan est assez médiocre et négligeable. La commission de contrôle de l’Etat d’urgence, confiée à la Commission des lois, effectue un travail statistique, qui ne peut permettre de rendre compte de la réalité de terrain, au contraire des lanceurs d’alerte, comme Amnesty, ou Human Right watch, ou encore la quadrature du Net, qui font le travail qualitatif que n’a pas fait la Commission dans ces 2 rapports successifs.
Quelques chiffres, maintenant connus de tous : Au 12 février 2016, sur 3340 perquisitions administratives seules cinq procédures concernent des faits de terrorisme, contre 202 du chef d’infraction à la législation sur les stupéfiants. 24 autres procédures ouvertes ne visent pas l’acte terroriste mais le délit d’’apologie du terrorisme. En fait, 74 % des procédures concernent la législation des armes et des stupéfiants, la plupart réalisées dans les premiers jours d’application de l’état d’urgence, soit avant la mi- décembre 2015.
Ces milliers de perquisitions de domiciles, de restaurants, de mosquées, ces centaines d’assignations à résidence, ont juste révélé leur inefficacité, démontrée dans les deux rapports de la Commission de contrôle du Parlement. On serait tenté de dire : Tout ça pour ça ! Et ce n’est pas moi qui le dis, ou un autre droit-de-l’hommiste patenté, qui le dit, mais monsieur Urvoas, notre nouveau Garde des Sceaux, qui reconnaissait lui-même que : « l’arrêt de l’état d’urgence ne sera pas synonyme d’une moindre protection des Français. » Il ajoutait : « L’essentiel de l’intérêt de ce que l’on pouvait attendre de ces mesures [d’urgence] semble, à présent, derrière nous. Partout où nous nous sommes déplacés, nous avons entendu que les principales cibles et les objectifs avaient été traités. De fait, l’effet de surprise s’est largement estompé, et les personnes concernées se sont pleinement préparées elles aussi à faire face à d’éventuelles mesures administratives. »
En outre, l’argument de la persistance d’un danger fort et permanent que vous invoquez en appui de votre demande de prolongation, peut se retourner. La permanence du danger est précisément le signe que son traitement relève de bien autre chose que de la prolongation de l’état d’urgence.
« Réagir efficacement à un attentat terroriste en donnant à l’État les moyens proportionnés à l’ampleur de la menace imminente était une chose, nous dit encore la commission Urvoas, combattre sur la profondeur le terrorisme en est une autre ».
L’inutilité de la prorogation est donc avérée mais les faits montrent que le sens même de la loi a été détourné. Que penser, en effet, des assignations des 26 familles de militants écologistes pendant la COP 21, sinon pour les empêcher de manifester ? Que penser des interdictions de certaines manifestations de solidarité avec les migrants ou même de rassemblements syndicaux, qui n’avaient rien à voir avec le terrorisme ? Il aura fallu la persévérance de la LDH et du collectif « Stop état d’urgence » pour que vous vous décidiez à lever ces interdictions au droit de manifester pourtant inscrit dans notre Constitution. Demain, dans une situation sociale tendue, qui nous dit que, vous-même ou vos successeurs, ne pourraient pas utiliser cette loi sur l’état d’urgence, modifiée par votre gouvernement, contre d’autres catégories de la population ?
En effet, depuis ce sinistre 20 novembre, jour du durcissement de la loi de 1955, les conditions permettant de décréter l’état d’urgence ne visent pas spécifiquement la criminalité terroriste. Les mesures de contrainte qu’il autorise ont vocation à s’appliquer à un nombre potentiellement infini de situations. Pourquoi ? Parce qu’il suffit d’un « comportement », perçu comme « une menace pour la sécurité et l’ordre publics », pour décider d’une perquisition ou d’une assignation à résidence ; il suffit, pour interdire une réunion, de soutenir qu’elle est « de nature à provoquer ou à entretenir le désordre » ; il suffit pour dissoudre une association, de démontrer qu’elle participe, facilite ou incite « à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public »… A partir du moment où on légifère sous la conduite de l’émotion et des sondages, tout est permis. Surtout le pire.
L’état d’urgence n’est qu’une vitrine de l’efficacité, dont le seul but est de faire croire aux Français que vous maitrisez la situation au moyen de l’exception. Or, nous savons que la lutte contre la menace terroriste passe par un travail précis et renforcé des services de renseignements qui, faute de moyens, ne parviennent pas toujours pas à être au maximum de leur efficacité. J’ajouterais qu’en prolongeant l’exception vous dispersez inutilement des forces de police qui seraient bien mieux employées à la détection et à la prévention des projets criminels avérés.
Les Français ne comprendraient pas la levée de l’état d’urgence, si un nouvel attentat survenait, nous dit-on. Un an après les attentats de janvier 2015, état d’urgence ou pas, ces Français comprendraient-ils mieux si une nouvelle tuerie intervenait ? Je ne le pense pas.
Mais, et c’est bien le cœur du débat, l’état d’urgence remet en cause la séparation des pouvoirs. Il est un acte de défiance à l’égard de la magistrature, un mépris des juges qui font leur travail dans des conditions précaires. C’est une grave erreur de penser que les juges doivent limiter leur contrôle pour faire face aux attentats. Ce ne sont pas les lois qui manquent, mais les moyens pour les appliquer, chaque fait divers le démontre ! Hors état d’urgence, l’interdiction d’une réunion, d’une manifestation, la dissolution d’une association sont possibles. Mais leur nécessité et leur proportionnalité sont évaluées, au cas par cas, en tenant compte des circonstances et de l’importance des menaces. Hors état d’urgence, le pouvoir de perquisition judiciaire est large. Sa mise en œuvre est justifiée par un lien, même ténu, avec la recherche d’une infraction pénale, lorsqu’il provient d’un renseignement. La perquisition a donc bien toute sa place dans les suites d’un acte criminel terroriste, comme dans la recherche d’infractions en préparation, même en germe. Pour les infractions relevant de la criminalité organisée comme du terrorisme, la perquisition peut même être réalisée à toute heure, sur autorisation donnée en urgence par un juge apte à mesurer les éléments de contexte. Nous possédons déjà tout l’arsenal juridique nécessaire.
L’état d’urgence consacre ainsi à la fois la marginalisation du juge et l’accroissement des atteintes aux libertés, sur des critères vastes et flous de l’ordre public.
Toutes les conséquences de l’état d’urgence ont d’ailleurs été constatées dans les instances internationales, plus vigilantes apparemment que notre Commission de contrôle. Ainsi, le 19 janvier, cinq rapporteurs spéciaux des Nations-Unies, notamment les rapporteurs sur la liberté d’opinion et d’expression et sur la protection et la promotion des droits de l’homme dans le cadre de la lutte antiterroriste, ont appelé votre gouvernement à ne pas prolonger l’état d’urgence au-delà du 26 février. Ils ont déclaré que: « Si des mesures exceptionnelles peuvent être nécessaires dans des circonstances exceptionnelles, cela ne dispense pas les autorités de faire en sorte que ces mesures soient appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et soient directement liées à l’objectif spécifique qui les a inspirées » Ces cinq rapporteurs se sont inquiétés du caractère vague des motifs sur lesquels vous vous êtes fondés pour procéder à des perquisitions et ordonner des assignations à résidence. Le 22 janvier, dans une lettre à François Hollande, le secrétaire général du Conseil de l’Europe s’est dit lui aussi préoccupé par les pouvoirs actuellement conférés aux autorités administratives en vertu de l’état d’urgence, notamment en matière de perquisitions et d’assignations à résidence.
Selon l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le gouvernement peut imposer des restrictions à l’exercice de certains droits, et notamment à la liberté de mouvement, d’expression et d’association, dans le cadre d’un état d’urgence, mais seulement « dans la stricte mesure où la situation l’exige ». Le gouvernement doit également veiller à ce que toute mesure prise en vertu de la loi soit strictement proportionnelle à l’objectif poursuivi, à ce que ces pouvoirs ne soient pas appliqués de manière discriminatoire et ne stigmatisent pas les personnes en fonction d’une appartenance ethnique, religieuse ou sociale particulière.
Je voudrais dire que les dérives de l’état d’urgence sont en train de normaliser un phénomène dangereux à très court terme : la tendance à l’utilisation des perquisitions administratives ou des assignations à résidence, « pour voir », comme au poker. Cela permet d’introduire, sans le dire, une présomption de culpabilité en fonction du comportement de l’individu et non de ses activités. C’est cette modification scélérate de la loi de 1955 que vous avez introduite à la faveur de la première prolongation de l’état d’urgence, en rupture totale avec le droit français, puisque vous instituez le délit prédictif. C’est d’ailleurs une des raisons majeures qui m’avait décidé à refuser de voter cette première prolongation, avec cinq autres de mes collègues. C’est ce qui justifie en réalité le nombre impressionnant de perquisitions inutiles et leur décalage par rapport aux poursuites judiciaires : on jette des filets sur ce qui semble un terreau favorable et on voit si cette pêche au gros a rapporté quelque chose dont on va se servir pour d’autres perquisitions. La conséquence est facile à comprendre, en ratissant aussi large vous suscitez le ressentiment, l’humiliation. Là encore, faut-il citer les perquisitions violentes, qui ont traumatisé durablement des familles et qui contribuent au ressentiment et à la radicalisation, notamment des jeunes qui voient leurs parents, leurs grands-parents, leurs soeurs, leurs amis proches, poursuivis le plus souvent sans aucune justification ? Ce n’est pas un gauchiste qui souligne, pour ces raisons, les dangers de la prolongation de l’Etat d’urgence, mais Jacques Toubon, le Défenseur des droits, qui a reçu environ 40 plaintes faisant état d’abus liés aux mesures d’urgence et, notamment, de perquisitions injustifiées, du manque de preuves et de descentes effectuées à des adresses erronées.
« L’Etat d’urgence ne signifie en rien l’abandon de l’Etat de Droit » : c’est ce que vous déclariez le 2 décembre dernier, monsieur le ministre, concernant son contrôle. Pourtant, plus de 400 assignations à résidence seraient susceptibles d’être frappées d’illégalité, si l’on en croit le tribunal administratif de Pau, dans une ordonnance rendue le mercredi 30 décembre 2015.
L’autre grand risque que la prolongation de l’état d’urgence fait courir à la société est la construction de la représentation d’un ennemi intérieur : la communauté musulmane. La loi qui a institué l’Etat d’urgence existe depuis 1955 et la guerre d’Algérie. Nous l’avons déjà dit à cette tribune, elle est liée à un imaginaire colonial qui se perpétue depuis cette époque. Souvenons-nous du massacre du 17 octobre 1961, perpétré sous l’état d’urgence, dont furent victimes des dizaines d’algériens suspectés d’être des terroristes liés au FLN. Ce n’était pas Vichy, monsieur le ministre, mais la République, soutenue par Guy Mollet et la SFIO, le parti socialiste de cette époque. Souvenons- nous de 1984 et de la Nouvelle-Calédonie, de 2005 et des banlieues qu’il fallait mâter.
Bien que les mesures autorisées par l’état d’urgence ne ciblent pas un groupe en particulier, nous voyons bien qui elles visent en priorité. Pas étonnant que se développe un sentiment d’injustice et une vraie défiance envers les pouvoirs publics. De fait, la grande majorité des personnes ayant fait l’objet de perquisitions et d’assignation à résidence est musulmane ou d’origine maghrébine. Toutes les mesures que « Human Rights Watch » a documentées visaient des musulmans, des établissements musulmans ou des restaurants halal. Un grand nombre de ces personnes ont déclaré avoir été prises pour cible en raison de leur religion. Les effets des assignations à résidence sont catastrophiques. Les personnes perdent leurs moyens de subsistance, leur réputation, tout. Comme Kamel, Pour rendre plus vivant cette stigmatisation au quotidien , je prendrais l’exemple de « Kamel », assigné à résidence dans une ville de la banlieue de Paris le 26 novembre et accusé « d’être fortement impliqué dans la mouvance islamiste radicale » sur de simples notes blanches, non signées et non datées, alors qu’il n’avait rien à voir avec ce qu’on lui reprochait. Il a confié qu’il n’avait pas déposé de recours contre l’assignation à résidence, parce qu’il n’avait pas confiance dans la justice : « Je n’avais pas confiance avant, et maintenant encore moins. »
Ces pratiques discriminatoires marginalisent les musulmans français et rendent plus difficile la coopération entre les communautés musulmanes et les efforts de mise en œuvre de la loi qui pourraient aider à identifier les menaces terroristes locales basées sur l’islam radical. Elles sont aussi détestables pour l’image de la France à l’étranger. Nils Muiznieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, n’a-t-il pas exprimé des inquiétudes relatives à un possible profilage ethnique ?
L’état d’urgence a été, est et sera dangereux pour la démocratie , car on sait quand on y entre mais jamais quand on en sort.
Manuel Valls, Premier ministre, déclarait le 22 janvier 2016 : « Nous ne pouvons pas vivre tout le temps avec l’état d’urgence mais, tant que la menace est là, nous devons utiliser tous les moyens […] jusqu’à ce qu’on puisse, évidemment, en finir avec Daech. » Si je comprends bien, il faudrait prolonger l’état d’urgence jusqu’à la disparition finale de l’Etat islamique, alors qu’il se répand aux quatre coins de la planète en organisant une guerre asymétrique. Cela veut donc dire que l’état d’urgence devient une règle générale pour tout l’occident et pour un temps indéterminé. Une telle approche politique porte un nom, chers collègues, c’est l’état de mobilisation et de militarisation permanents. Voilà le choix de société qui nous est proposé. Devons-nous l’accepter sans nous interroger sur ce qu’il signifie comme rupture avec les fondements mêmes de la République. Quid de la séparation des pouvoirs, avec la primauté quasi définitive de l’exécutif, non seulement sur le législatif – mais cela nous le savons depuis 1958 – mais encore sur l’ordre judiciaire ? Le tout dans un agenda et une mise en scène organisés par un pouvoir non défini, celui des médias et de l’audimat. Il y a longtemps, dans les années 80, j’ai écrit un livre intitulé : « la dictature de l’audimat ». Nous y sommes. Sauf que cette dictature a vampirisé l’Etat, qui s’est aligné sur elle et en devient le fondé de pouvoir. Mais les médias ne sont pas des organes impersonnels,iIls sont détenus par des gens bien identifiés, qui ont pour nom Dassault, Bolloré, Drahi ou Bouygues. Des marchands de canons, des managers de la Françafrique, des magnats du Btp et des télécoms.
L’état d’urgence institue une société du soupçon et d’hyper surveillance. Comme nous l’avons dit plus haut, en introduisant la notion de « comportement » dans la loi de 1955, vous avez institué le délit prédictif de présomption de responsabilité, en rupture avec le droit français. Jusqu’ici, aux termes du droit pénal français, les autorités judiciaires ne pouvaient prononcer des assignations à résidence que contre des personnes mises en examen, c’est-à-dire contre lesquelles il existe des indices graves ou concordants qu’elles aient pu participer à la commission d’une infraction. Avec votre nouvelle définition, qu’il ne faut pas séparer de la rétention de sûreté, jamais abrogée par la gauche contrairement à ses engagements, les critères retenus pour prononcer une assignation à résidence sont donc beaucoup moins stricts. C’est la fin de la présomption d’innocence, le début de l’Etat sécuritaire. Face à la mondialisation du terrorisme, il est compréhensible que les Etats cherchent à protéger leurs citoyens, mais faut-il, pour autant, faire de chacun un suspect, en plaçant l’ensemble de la société sous surveillance ?
Les débats autour de la loi renseignement, autour du fichier S, comme sur l’existence d’une Plate forme nationale de cryptanalyse et de décryptement (PNCD), dont l’existence de 1999 jusqu’à 1995 avait été cachée par l’Etat, jusqu’aux fichiers RIFD ou ADN, en passant par l’extension indéfinie des caméras de surveillance, tout montre que nous sommes en train d’entrer dans un monde du contrôle et de la surveillance, au nom de la sécurité avec les moyens du numérique. Big Brother n’est pas loin ! Nous ne sommes plus dans une fiction, mais dans une réalité co-construite entre les Etats et les entreprises privées qui, telles les GAFA, (Google-Amazone -Facebook – Apple) exploitent toutes les données existantes sur notre intimité, soit pour nous marchandiser , soit pour nous surveiller , les deux dimensions n’étant pas incompatibles .
Nous sommes donc en train de vivre le passage de l’Etat de droit à l’état de sécurité, qui nécessite de gouverner par la peur et qui conduit à la dépolitisation des citoyens auxquels il faut proposer des ennemis de l’intérieur faute de débat et d’explications. Un tel état ne peut donc que fragiliser la cohésion sociale pourtant si nécessaire à notre pays en ces temps incertains.
Pour justifier un tel choix, le Premier ministre a trouvé un dérivatif : Plus besoin de s’attaquer aux racines internes du mal, puisque les comprendre c’est excuser le terrorisme. L’éducation, le chômage, les discriminations, ne seraient que des excuses. Ne faisons surtout rien d’autre que de quadriller nos rues par les militaires, de mettre en condition les écoliers, collégiens, lycéens. Cela s’appelle discipliner une population, l’habituer à l’état d’exception permanent, mais ce n’est pas lutter contre les fascistes religieux qui ne peuvent que se réjouir de voir l’Etat alimenter son terreau. Neutraliser les tueurs actifs ou potentiels, c’est l’urgence ; stériliser le terreau idéologique qui les nourrit, notre obligation permanente. Je crains que le souci quasi exclusif de l’urgence nous l’ait fait oublier.
C’est pourquoi l’urgence n’est pas de prolonger l’Etat d’urgence, mais de s’occuper de l’urgence démocratique et sociale, d’en finir avec le dépérissement de l’Etat qui, hors sa fonction sécuritaire, abandonne des pans entiers de ses responsabilités dans les services publics, dans la lutte contre le chômage et la misère, dans l’éducation et la culture.
Dans cette dernière période, l’empilement des réformes législatives se fait à une vitesse telle que la nouvelle loi est votée sans même que la précédente ait commencé à être évalué et à produire des effets. Tout est dans le symbolique. Mais ce qui se cache derrière cette inflation de textes, c’est la fusion entre sécurité intérieure et sécurité nationale, c’est l’abolition de la distinction entre le criminel et l’ennemi. C’est la remise en cause de la souveraineté judicaire au profit de la police.
Personne n’osera affirmer aujourd’hui que la menace terroriste est écartée. Chacun sait, sur ces bancs comme dans l’ensemble de notre société, que la menace est bien réelle et qu’il faudra probablement plusieurs années pour la réduire. Mais devons-nous pour autant maintenir ce régime d’exception aussi longtemps que le terrorisme durera, et conférer aux autorités administratives des pouvoirs étendus et renforcés susceptibles de restreindre considérablement nos libertés ? Telle est la question qui nous est posée aujourd’hui. On peut y répondre par ce que le jeune Léon Blum écrivait en 1898 pour stigmatiser les lois antiterroristes de l’époque : « ces lois n’auraient jamais du être nos lois, les lois d’une nation républicaine d’une nation civilisée, d’une nation probe. Elles suent la tyrannie, la barbarie et le mensonge ».
Parce que la justice n’est pas dans l’arbitraire, parce que l’état d’urgence est inutile , dangereux et inefficace, je vous demande , chers collègues, de voter cette motion de rejet. L’urgence c’est de sortir de l’état d’urgence. Je vous remercie.
Noël Mamère