Intervention de Sergio Coronado lors de la Commission des lois, le 27 janvier 2016
Dans un discours devant le Parlement réuni en Congrès, trois jours après des attentats qui ensanglanté la France et provoqué une vague d’effroi dans notre pays, le Président de la République a annoncé une réforme de la constitution pour d’une part constitutionnaliser l’état d’urgence et introduire d’autre part la déchéance de nationalité pour des citoyens nés Français et disposant d’une autre nationalité.
Ce débat nous occupe depuis cette date, il a souvent pris une tournure polémique et les déclarations du Premier ministre n’ont pas permis d’apaiser les tensions que ce débat a déclenchées et qu’il avive. La déchéance de nationalité pour des citoyens nés Français disposant d’une autre nationalité a cristallisé le débat public, tant il est vrai que cette proposition n’est pas « de gauche » comme l’a déclaré le Premier secrétaire du Parti socialiste, et qu’elle trouble naturellement les parlementaires de la majorité. C’est en effet une proposition de l’extrême droite, recyclée par une partie de la droite. Elle figurait en bonne place dans le fameux discours de Grenoble qui avait provoqué un tollé dans les rangs de la gauche et même dans une partie de la droite. François Hollande avait alors qualifié « d’attentatoire à ce qu’est finalement la tradition républicaine et en aucune façon protecteur pour les citoyens ». Je fais miennes les interrogations d’alors, qui étaient en fait des oppositions, du Président de la République : « Est-ce que ça va améliorer en quoi que ce soit la protection et la sécurité de nos concitoyens ».
Le projet de réforme contient deux articles.
Le premier propose de constitutionnaliser l’état d’urgence. L’instauration d’un dispositif d’exception privant les citoyens de certaines des garanties les plus essentielles que procure un Etat de droit et que garantit la Constitution est problématique.
Problématique de procéder à une réforme sous état d’exception alors que des libertés fondamentales se trouvent entre parenthèses.
Problématique aussi parce que le rôle de la Constitution n’est pas tant de conférer des compétences ou donner une assise juridique au pouvoir politique que d’encadrer et fixer des bornes aux titulaires de ces pouvoirs.
Sur le fond, tout peut se faire dans la loi. Nul besoin de modifier la Constitution. Su l’état d’urgence le Conseil constitutionnel a en effet répondu des 1985 aux objections. Il admet que le silence de la Constitution n’interdit pas au législateur ordinaire d’instaurer l’état d’urgence sur le fondement de l’article 34 de la constitution. Il a en effet estimé qu’en inscrivant l’état de siège, régi jusque-là par la seule loi du 9 août 1849, à l’article 36 de la constitution, le Constituant de 1958 n’avait pas souhaité pour autant « exclure la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence pour concilier (…) les exigences de la liberté et la sauvegarde de l’ordre public. (Décision du 25 janvier 1985, loi relative à l’état d’urgence en Nouvelle Calédonie et dépendances). La Constitution de 1958 n’a pas abrogé la loi du 3 avril 1955 et ne l’a pas constitutionnalisé non plus. Cette a d’ailleurs été modifiée à plusieurs reprises, adaptée aux circonstances. En novembre 2005, le juge des référés du Conseil d’Etat affirmait que la consécration du régime de l’état de siège sur le plan constitutionnel ne fait pas « obstacle à ce que le législateur, institue, un régime de pouvoirs exceptionnels qui lui sont constitutionnellement dévolues, un régime de pouvoirs exceptionnels distinct du précédent reposant, non comme c’est le cas pour l’état de siège sur un accroissement des pouvoirs de l’autorité militaire ». Dans une récente décision rendue sur la rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015, le conseil Constitutionnel n’exclut pas la possibilité pour le législateur de « prévoir un régime d’état d’urgence et qu’il lui appartient dans ce cadre d’assurer la conciliation entre d’une part la prévention des atteintes à l’ordre public et d’autre part le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République (QPC) ». Il peut paraître étonnant que le principe de hiérarchie des normes n’ait pas imposé un régime d’exception soit organisé par la Constitution. Le Constituant de 1958 ne l’a pas souhaité et la jurisprudence est assez claire. Nous pourrons revenir sur la question de l’encadrement dans le débat sur les amendements.
Sur la déchéance tout a été dit. Elle ne sert à rien dans la lutte contre le terrorisme. En quoi en effet l’article 2 qui consacre la déchéance de nationalité pour des citoyens nés Français et disposant d’une autre nationalité protège-t-il l’unité de la Nation puisque tout le monde s’accorde à dire qu’il est de nature exclusivement symbolique sans portée opérationnelle ? Quel Etat acceptera d’accueillir un citoyen Français déchu de sa nationalité au prétexte que nous souhaitons nous en débarrasser et que celui détient la nationalité du pays ? Les états n’acceptent aujourd’hui de recevoir de naturalisés déchus de la nationalité française qu’à la condition qu’ils soient poursuivis sur place. Rappelons par ailleurs que même en cas de déchéance, ces individus ne sont pas toujours expulsables en raison de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui le protège en cas de peine de mort, de traitements inhumains et dégradants.
Lé déchéance de nationalité pour des citoyens nés Français est présentée comme une atteinte excédant ce qu’autorise la Constitution. Aussi proposez-vous de modifier la Constitution ? Sur ce point le texte affirme sans convaincre. Nombre de juristes sans se prononcer au fond rappelle qu’une loi ordinaire suffit. Rappelant que dans une décision de juillet 1993, le CC a refusé de qualifié le droit du sol de principe fondamental reconnu par les lois de la République. Il n’y a donc pas de principe constitutionnel de priver un citoyen né Français de sa nationalité dès lors qu’il en possède une autre. Au contraire dans sa décision du 23 janvier 2015 le CC a jugé que les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à la naissance sont dans la même situation. Il n’y aurait pas de violation du principe d’égalité. Quant aux citoyens exclusivement français et les citoyens Français disposant d’une autre nationalité, ils sont des situations différentes. Les traiter ne porte pas atteinte au principe d’égalité.