Le pape, le climat et l’écologie de libération

Chronique de Noël Mamère sur le site Reporterre –

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La récente encyclique du pape François sur le changement climatique « constitue une avancée majeure pour l’écologie, à la fois par son origine, son contenu et son impact », car elle rompt avec « le béni oui-ouisme de l’Eglise » en remettant en perspective la question climatique et en montrant « en quoi l’homme et surtout le système capitaliste en sont à l’origine directe ».

La publication par le Pape François de l’encyclique Laudato si (« Loué sois-tu »), jeudi 18 juin, sur le changement climatique, constitue une avancée majeure pour l’écologie, à la fois par son origine, son contenu et son impact. Cette encyclique n’est pas venue… du Ciel, mais de l’expérience de François en Amérique latine.

Si cet ancien responsable argentin des jésuites a combattu fermement la théologie de la libération, il a compris qu’elle s’était développée sur un terreau que l’Eglise ne pouvait se permettre d’ignorer, à savoir les mouvements populaires, tels celui des sans terre, des indiens d’Amérique du Sud, en Bolivie et en Equateur ou encore les mouvements anti extractivistes.

Les foudres des néoconservateurs et des climato-sceptiques

C’est pour cela que le pape recevait le mardi 28 octobre 2014, au Vatican, les participants de la « Rencontre mondiale des mouvements populaires », organisée par le Conseil pontifical Justice et Paix et l’Académie pontificale des sciences sociales. Ces mouvements, issus principalement d’Asie et d’Amérique-Latine, représentaient aussi bien des paysans sans terre, proches de Via Campesina (dont fait partie en France la Confédération paysanne), des vendeurs ambulants, des mineurs, des chômeurs, des migrants, des marginaux, des habitants de bidonvilles, des jeunes en situation précaire, que des évêques et des agents pastoraux, de même que le Président bolivien Evo Moralès.

Son discours, passé à l’époque inaperçu, rompait avec le béni oui-ouisme de l’Eglise et mettait en perspective la question climatique : « Un système économique axé sur le dieu argent a aussi besoin de piller la nature pour soutenir le rythme frénétique de consommation qui lui est propre », dénonçait alors le pape. « Le changement climatique, la perte de la biodiversité, la déforestation, font déjà apparaître leurs effets dévastateurs dans les grandes catastrophes naturelles auxquelles nous assistons et ceux qui en souffrent le plus c’est vous, les humbles, vous qui vivez près des côtes, dans des logements précaires ou qui êtes vulnérables économiquement, au point de tout perdre lors d’une catastrophe naturelle. » Le pape souhaitait qu’il n’y ait « plus de familles sans toit », « plus de paysans sans terre », « plus de travailleurs sans droits », plus personne sans « la dignité que confère le travail ».

On comprend mieux pourquoi la lecture de l’encyclique papale a déclenché les foudres des néoconservateurs et climato-sceptiques de tout poil, comme ce Greg Gutfeld, expert de la chaîne américaine Fox news, pour qui François serait « l’homme le plus dangereux de la planète ». « Il ne lui manque plus que des dreadlocks et un chien avec un bandana et il pourra aller manifester à Wall Street », en référence au mouvement Occupy Wall Street. Il n’avait pas tort, car l’encyclique a un contenu fort qui ne se limite pas à analyser la question climatique d’un point de vue scientifique, mais qui montre en quoi l’homme et surtout le système capitaliste en sont à l’origine directe.

Cette dimension morale et éthique prend évidemment une dimension politique. Le pape ne parle-t-il pas de « décroissance » nécessaire pour certaines régions du globe ?

Critique radicale du système capitaliste

De fait, Bergoglio devenu François, popularise les thèses de l’écologie de libération en ne lui restituant pas son caractère subversif. En Amérique latine, l’écologie de libération fusionne la lutte des nations indigènes et leur rapport à la Pachamama, la Terre mère, la théologie de la libération comme facteur d’organisation des communautés de base. La non-violence et la désobéissance civile sont aussi des caractéristiques essentielles de ce courant qui prône le dialogue entre traditions d’émancipation des différentes cultures historico-religieuses. L’inspiration religieuse est très forte et il est significatif que dans le cas de la théologie de la libération, ses principaux penseurs aient basculé, dans les années 80, du socialisme à l’écologie, à partir de l’option préférentielle pour les pauvres.

Dans les années 1990, un de ceux-ci, Léonardo Boff, va s’intéresser de plus en plus aux questions écologiques. Ce sera l’objet du livre Dignitas Terrae. Écologie : cri de la Terre, cri des pauvres, (S.Paulo, Atica, 1995). Selon lui, la rencontre entre la théologie de la libération et l’écologie, est le résultat d’un constat : « La même logique du système dominant d’accumulation et d’organisation sociale, qui conduit à l’exploitation des travailleurs, mène aussi au pillage de nations entières et finalement à la dégradation de la nature. »

La théologie de la libération aspire donc à une rupture avec la logique de ce système, une rupture radicale qui vise à « libérer les pauvres, les opprimés et les exclus, victimes de la voracité de l’accumulation injustement distribuée ; et libérer la Terre, cette grande victime sacrifiée par le pillage systématique de ses ressources, qui met en risque l’équilibre physique-chimique-biologique de la planète comme un tout ». Boff propose une perspective de critique radicale du système capitaliste où la théologie de la libération s’applique tant aux classes dominées qu’à la Terre menacée de destruction par les humains qui se pensent supérieurs à Dieu.

Les religions, constituées autour d’un rapport très fort à la terre et à l’environnement, sont un vecteur décisif de l’écologie politique, à partir du moment ou, en leur sein, ce rapport fusionne avec les valeurs de l’émancipation sociale. Ce qui est valable aujourd’hui pour le Christianisme peut l’être demain avec l’Islam et donner un contenu nouveau à l’Islam politique autre que l’islamo-fascisme qui a encore frappé sur trois continents ce premier vendredi de Ramadan.

Si la religion est l’opium des peuples, elle est en même temps un espace de méditation pour eux. L’encyclique du pape nous rappelle que le pire n’est jamais certain et que l’espoir d’un autre monde est possible.

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