Le «désaccord politique majeur» de Christiane Taubira

Edito de Noël Mamère publié sur le site de Médiapart le 1er février 2016.
Bien plus que la fin d’une trop longue présence au gouvernement, la démission de Christiane Taubira signe l’acte de décès de la gauche plurielle et confirme que la gauche a définitivement abandonné ce gouvernement.

Bien plus que la fin d’une trop longue présence au gouvernement, la démission de Christiane Taubira signe l’acte de décès de la gauche plurielle et confirme que la gauche a définitivement abandonné ce gouvernement. L’équipe qui reste, remaniée ou non dans quelques jours ou quelques semaines, n’a plus rien à voir avec « l’Union de la gauche » des années Mitterrand, ni avec la « gauche plurielle » des années Jospin, ni même avec la gauche de 2012. L’équipe de Manuel Valls ressemble de plus en plus à une horde sauvage, dirigée par un pion autoritaire, qui veut faire table rase des valeurs, des principes et de l’histoire des forces dites de progrès. Désormais, le seul horizon de ce gouvernement, toujours soutenu par la grande majorité du Parti Socialiste, est l’éradication des fondamentaux de la gauche, en allant toujours plus loin, toujours plus vite.

Qu’est-ce qui différencie ce gouvernement de ceux des années Fillon- Sarkozy, sinon qu’il réalise ce que l’ex-président repentant reconnaît n’avoir pas osé remettre en cause : des 35 heures au discours de Grenoble sur la déchéance de nationalité, de l’expulsion des Roms au détricotage du Code du Travail ? Sarkozy l’avait rêvé, Valls, Macron et Hollande le font sans états d’âmes.

Le «désaccord politique majeur» pointé par l’ex-ministre de la Justice, qui n’était pas explicité dans sa déclaration de rupture avec le Président, ne porte donc pas seulement sur la seule déchéance de nationalité, mais bien sur deux conceptions de la société et de l’action publique.

Ce « désaccord politique majeur » reflète, en outre, une réalité politique qui s’impose de jour en jour : à force de « clarifications » imposées par son Premier ministre, le chef de l’Etat est devenu l’otage de celui-ci. Que ce soit à son corps défendant ou non, pour sauvegarder quelques chances de se maintenir dans la course de 2017, importe peu. Il n’est plus l’homme de synthèses devenues impossibles, mais le Président d’une ligne, plus proche que jamais des «Républicains». Dans ces conditions, l’appel aux primaires, tel qu’il se développe, n’aura de sens que si elles permettent de désigner le candidat de ceux et celles qui s’opposent à cette vision du monde basée sur le libéralisme et l’autoritarisme sécuritaire, le tout englobé dans un package de guerre de civilisations.

Il n’y a plus rien à obtenir de ce gouvernement qui ignore le compromis…  Quand ce dernier ne lui est pas imposé par la droite. Un exemple ? Valls et Hollande nous prennent pour des abrutis quand, pour nous faire avaler la couleuvre de l’état d’urgence à perpétuité et la remise en cause du droit du sol, ils ne mentionnent plus les binationaux dans la Constitution… Tout en la conservant dans la loi qui l’appliquera ! Et quand, à la demande de Nicolas Sarkozy, ils étendent la déchéance aux crimes et délits hors terrorisme, ils ouvrent une nouvelle boîte de Pandore que la droite dure exploitera dès son arrivée au pouvoir en 2017.

Christiane Taubira a donc, du moins je l’espère, ouvert les yeux à temps sur les dérives de ce gouvernement qui, dans la ligne directe des Jules Moch et Guy Mollet, solde les derniers oripeaux de la gauche au nom de la République. Mais le temps des soldes a une fin.

On me dit souvent que je joue de la posture, que je suis « irresponsable » et dans « l’outrance », que je n’ai pas conscience des réalités, que la gauche morale et « droit-de-lhommiste »  – expression issue de l’extrême droite – est disqualifiée dans une situation où la population approuve majoritairement la remise en cause de la séparation des pouvoirs. Peut-être. Mais il faut être clair : la gauche et l’écologie politique que nous défendons n’ont plus que le Ministère de la parole pour s’opposer à un pouvoir qui a choisi la voie de la déchéance et du déshonneur. La « posture » est malheureusement la seule arme qui nous reste pour répondre à la colère, à la rage, à l’exaspération, au désespoir aussi, de ceux qui subissent sans broncher  les agressions répétées d’une politique dont on ne peut même pas dire qu’elle trahit quoi que ce soit… Puisque François Hollande, en fait, n’avait rien promis du tout ! Il a été élu contre Nicolas Sarkozy et n’a fait que poursuivre sa politique, mais avec nos voix ; ce fameux « nous » dont parle Taubira. Elle a eu raison d’en appeler à Césaire, puisque le Hollandisme est devenu l’arme de destruction massive de la pensée de gauche : il colonise la pensée de toute une génération et il organise la défaite de la pensée.

Si nous voulons sortir de la lâcheté complaisante des spectateurs impuissants, si nous voulons nous regarder dans la glace demain, si nous voulons rester fidèles à ce que nous sommes, nous devons recourir à la seule expression qui vaille : dégagez et vite !

 

Noël Mamère

Le 1/02/2016.

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