Le jour d’après
Le Monde, 12 avril 2014 –
Tribune de Sergio Coronado et Noël Mamère, Députés écologistes.
Manuel Valls est un homme énergique, déterminé, aux convictions trempées. Avec lui, par le passé, nous avons eu des divergences profondes, sur des questions politiques majeures. Nous ous ne jugeons pas les hommes mais leur politique. A cette aune, force est de constater que le Président de la République et les plus hauts responsables de l’Etat n’ont tiré aucune leçon du désaveu qui leur a été infligé à l’issue des élections municipales. Pire, ils ont choisi de s’entêter dans leur politique d’extrême rigueur pour les classes moyennes et populaires, de cadeaux au Medef et de minimalisme écologique. Le contenu du contrat passé en novembre 2011 entre les socialistes et les écologistes n’est plus qu’un élément de langage qui sert à fleurir les discours officiels. Dès lors, la décision de Cécile Duflot et Pascal Canfin de ne pas participer au gouvernement conduit par Manuel Valls ne nous a pas surpris. Le vote, très majoritaire, du Conseil Fédéral d’EELV est venu confirmer cette nouvelle donne. Dans ce contexte, tout à fait logiquement, nous avons fait le choix de l’abstention, avec quatre autres collègues de notre groupe. Si nous nous considérons dans la majorité, nous ne souhaitons pas accorder notre confiance, sans garanties, à un gouvernement qui s’obstine à ne pas entendre la souffrance, le désarroi, la colère des Français. La confiance ne pourra être accordée tant qu’une réorientation de la politique économique, sociale et environnementale n’aura pas été amorcée. Elle n’a pas eu lieu et le discours de politique générale du Premier ministre ne nous a pas rassurés. Il s’agit donc maintenant pour les écologistes de préparer le « jour d’après ». Se contenter de camper sur une position de soutien à géométrie variable au gouvernement, serait suicidaire. Nous devons dire, dès maintenant, quelle sera notre feuille de route pour l’avenir, au risque d’être disqualifiés pour longtemps. Le danger de l’indécision est que nous évoluions entre deux mauvais choix : le soutien sans participation et la marginalisation à la gauche de la gauche. Nous récusons ces deux postures. La première aurait pu se comprendre au début du quinquennat, mais elle nous semble aujourd’hui totalement irréaliste. Soit on assume ses responsabilités et on pèse de l’intérieur de l’appareil d’Etat pour changer les politiques publiques, soit on démontre que notre sortie est motivée par le refus d’une politique qui n’a plus de gauche que le nom et dont la sémantique écologique n’est qu’un paravent. Le discours du nouveau Premier ministre révèle l’entêtement du gouvernement Hollande III à tenir un discours fondé sur le redressement des comptes publics et le pacte d’austérité, qui va forcément se traduire par l’amoindrissement de la protection sociale et des services publics et qui risque de réduire la capacité de notre pays à engager la transition écologique. Nous refusons également de théoriser l’existence de deux gauches : l’une radicale, l’autre réformiste, qui se combattraient jusqu’à l’extinction finale. Nous sommes des réformistes radicaux, qui avons acquis une culture de gouvernement sans rompre avec leur ancrage dans les mouvements sociaux.
Notre projet écologiste est tout autant en rupture avec la logique social- libérale, qu’avec les illusions du grand soir. Entre ces deux impasses, nous devons continuer à porter l’espoir d’une troisième option, celle de l’ écologie qui agit et qui rassemble. C’est cette dernière qui a marqué des points lors du dernier scrutin municipal. Ce qui s’est passé à Grenoble et dans d’autres grandes villes de France, où des listes autonomes écologistes ont obtenu 12% en moyenne, montre que les germes d’une gauche sociale et écologiste existe bel et bien dans le pays. Faire vivre « l’esprit de Grenoble » doit être au coeur de notre stratégie pour les trois ans à venir. Une telle dynamique repose sur trois axes : – une alliance nouvelle entre les classes moyennes et les classes populaires. Les écologistes ont trop souvent été à la remorque d’un électorat des centres villes urbains, au capital culturel élevé, sans prendre en compte les besoins des classes populaires. Or la crise écologique s’attaque d’abord aux plus démunis. Nous devons rompre avec cette image de bourgeois-bohèmes qui nous colle à la peau. L’écologie populaire doit devenir notre obsession. – Un programme de transition écologique, axé sur nos fondamentaux : la crise climatique, le nucléaire et les pollutions. Nous devons et pouvons montrer que nos propositions d’alternatives énergétiques sont crédibles. Nous ne sommes pas des partisans de la taxation sans limites, mais les défenseurs d’une fiscalité écologique qui se substitue, à taux égal, à la politique fiscale actuelle, injuste et illisible. De ce point de vue, nous sommes très inquiets des deux premiers couacs du gouvernement : Les déclarations de Ségolène Royal remettant en cause la pollutaxe sur les poids lourds, au prétexte de « l’écologie punitive », sont synonymes de régression; le rattachement du commerce extérieur au Ministère des Affaires étrangères,est le signe annonciateur à la signature du Traité Transatlantique (TAFTA) qui fera tomber toutes les normes environnementales et sanitaires protectrices et permettra à des multinationales d’attaquer les Etats devant les tribunaux. – Une stratégie qui tende la main à la fois aux déçus du hollandisme, notamment la gauche du parti socialiste qui se sent abandonnée et aux groupes et mouvements citoyens qui cherchent désespérément une traduction politique à leurs actions de terrain. Il faut être capable de s’allier avec les forces de gauche qui n’ont pas le sectarisme comme boussole. Dans un tel contexte politique, notre programme ne doit pas se réduire à des mesures, mais s’appuyer sur ce qui nous manque le plus : un grand récit, appropriable par la majorité de nos concitoyens, qui renoue avec l’utopie réaliste du projet écologiste, en lui donnant un objectif :« le bien vivre ».
S’ouvrir à la société était le projet initial d’EELV. Il a été oublié en chemin.
Le signal envoyé par les électeurs, la défiance face aux appareils politiques, suppose que nous retrouvions rapidement le chemin qui a fait le succès des européennes. Là encore, l’esprit de Grenoble est précieux. L’innovation, l’expérimentation sociale, le mélange d’ouverture et de radicalité, sont la meilleure réponse au sentiment d’impuissance qui pèse sur nos consciences. Alors que les crises climatique, énergétique et écologique sont en train de changer radicalement nos vies, les initiatives de transition, locale et régionale, sont les meilleurs antidotes à la crise du politique. A condition d’offrir la perspective du rassemblement à vocation majoritaire autour de l’écologie politique.