Les primaires sont-elles une solution?

Edito de Noël Mamère publié sur le site de Médiapart
L’initiative de Daniel Cohn-Bendit et de ses amis a un mérite : déverrouiller le huis-clos politique enfermé dans la posture sécuritaire et pro-business du Président de la République et de son Premier ministre. A priori, elle permet l’ouverture d’un espace de débat nécessaire. Mais je suis plus dubitatif sur l’efficacité réelle de cet appel.

L’initiative de Daniel Cohn-Bendit et de ses amis a un mérite :  déverrouiller le huis-clos politique enfermé dans la posture sécuritaire et pro-business du Président de la République et de son Premier ministre. A priori, elle permet l’ouverture d’un espace de débat nécessaire. Mais je suis plus dubitatif sur l’efficacité réelle de cet appel. Chacun voit bien que François Hollande – Manuel Valls l’a d’ailleurs confirmé dans l’émission de divertissement «  on n’est pas couché » – ne participera pas à cet exercice, les institutions de la Vème République l’en empêchent par nature.

En effet, on voit mal le Président descendre dans l’arène et participer à ce défilé des élégances sous l’œil des caméras, alors qu’il se veut au-dessus des partis. Pourquoi se mesurer à des personnalités, certes honorables, mais qui n’exercent pas de responsabilités au niveau de l’Etat et prendre le risque de décrédibiliser toute la dernière année de son mandat ? Pourquoi contribuer à mettre en lumière les insuffisances et les échecs de sa présidence ?

La réalité est beaucoup plus prosaïque : pendant que l’on se focalise sur la primaire, sur ses avantages et sa méthode, on ne parle ni de Notre-Dame-des-landes, ni des plans de licenciements ni de l’’état d’urgence, ni des lois sécuritaires qui seront bientôt soumises au Parlement. La seconde objection vient de Jean Luc Mélenchon : En supposant que toute la gauche et les écologistes décident d’y concourir, le résultat impliquerait que tous les participants soient d’accord pour suivre le « champion ». Cela signifierait donc un alignement sur son orientation. On voit ce que ça donne avec Hollande et Valls ! La vérité est que les primaires renforcent trop souvent le caractère présidentialiste du régime, qui a déjà fait dériver et exploser les partis politiques. En réduisant les orientations à ceux qui les incarnent, en  encourageant la professionnalisation de la vie politique, qui implique la constitution « d’écuries », comme on l’a vu au PS et, aujourd’hui, chez Les Républicains, en américanisant la vie politique, les primaires ne font que confirmer le caractère piégeant des institutions de la Vème République. Contrairement aux Etats-Unis où il n’y a pas de second tour, les primaires font en quelque sorte doublon avec les « vraies » primaires que constitue le premier tour des élections présidentielles. Si nos amis initiateurs des primaires veulent ouvrir le jeu, il faut que, dans le même temps, ils lancent une campagne pour l’application de la proportionnelle aux prochaines élections législatives. Cela donnerait des garanties pour la recomposition politique qu’ils préconisent.

Ce qui légitime par contre l’initiative de Dany, c’est la possibilité effective de la présence du Front national au second tour de l’élection présidentielle. Après la séquence des régionales, qui n’ont fait que confirmer les le résultat des européennes, des municipales et des départementales, la peur du 21 avril est dans tous les esprits. Doit-on cependant tout subordonner à cette question ? Je ne le pense pas. Si la gauche est divisée, la droite l’est également et rien ne dit que plusieurs candidats, tels François Bayrou ou Nicolas Dupont-Aignant, voire l’un des perdants de la primaire, ne se lancent pas dans la bataille. Tout résumer à la question du Front national ne permet pas de voir que la tripartition qui nous est imposée n’est pas celle que l’on croit. En effet, le clivage traditionnel gauche/droite est en train de s’estomper au profit d’un clivage entre, d’un côté, les nationaux-souverainistes et les libéraux-conservateurs – bien illustré par les échanges de tweets entre Valls et Raffarin et, de l’autre côté, le bloc cosmopolite rassemblant une gauche démocratique, radicale,  écologiste et anti-libérale. Si la primaire sert à enterrer ce clivage et à permettre que la gauche social-libérale et autoritaire instrumentalise l’autre partie, en la paralysant durant de longs mois, qu’aura-t-on gagné ? Si, en revanche, une dynamique citoyenne s’enclenche et bouscule les directions des partis, en leur imposant des confrontations en rupture avec l’orientation au pouvoir depuis près de quatre ans, la possibilité d’une recomposition à l’espagnole ne serait plus un rêve.

Je comprends que des partis, comme EELV ou le PCF, ne sachant plus à quel saint se vouer, déconfits après les défaites des régionales, croient trouver leur salut dans des primaires qui entretiennent l’espoir d’un retour de la gauche plurielle, sous une forme ou sous une autre. Mais cette  gauche-là est morte et enterrée pour ne pas avoir tenu ses promesses. Elle a succombé faute de n’avoir pas su répondre aux défis de la mondialisation et de la crise écologique.

Pour ma part, je préfère aujourd’hui me mobiliser sur les urgences  démocratiques – déchéance de la nationalité, état d’urgence, nouvelle loi sur le terrorisme – qui sont le creuset de mobilisations, peut-être plus fécondes, pour les nouvelles générations, ainsi que sur les urgences sociales et environnementales.

La semaine passée, 70. 000 signataires ont fustigé la condamnation inique des Goodyear, tandis que, dans le même temps, seuls 25000 signataires validaient la primaire de la gauche. Je n’en tire aucune conclusion. Mais j‘estime qu’il est urgent de constituer le socle commun d’une gauche de transformation et de rupture, avec tous ceux et toutes celles qui refusent de se soumettre à la droitisation menée à marche forcée par l’exécutif. Pour cela, il faut déjà oser rompre avec la politique hors-sol qui se concocte dans des restaurants parisiens où, entre l’entrée et le dessert, on mijote un renouveau de l’entre soi. J’ai déjà donné. Que chacun fasse son expérience. Qui vivra verra !

Noël Mamère

Le 18/01/2016.

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